L’empreinte d’Antoine CRISTAL
Le commerçant
Très vite initié au commerce, le jeune homme fait rapidement preuve du sens des affaires. Économe et efficace, il travaille d’abord pour un drapier de Tours puis devient voyageur de commerce en bonneterie, à Angers, pour des rouenniers (marchand de toiles et d’articles en coton). Pendant plus de 20 ans, Antoine Cristal amasse, peu à peu, grâce à son travail, une petite fortune. Il devient même associé de ses patrons avant de rester seul propriétaire.
Sa finesse d’esprit, sa bonhommie, son enthousiasme et cette fortune naissante lui permettent d’élargir le cercle de ses relations. Il se lie ainsi à des personnalités politiques de l’époque tels Alain Targé, Jules Ferry, Gambetta et même Clémenceau mais aussi artistiques telles que Jules Desbois le sculpteur.
Le vigneron
En 1887, à 50 ans, Antoine Cristal réalise sans doute un vieux rêve : posséder le Château de Parnay et ses vignes. Il prend la succession de la famille Becquet de Marconnay en acquérant le domaine en septembre de la même année.
Désormais le « Père Cristal », comme on l’appelle alors, se consacre entièrement à la viticulture et se met avec ardeur au travail. Toujours chaussé de sabots, vêtu de velours, coiffé d’une casquette, il se balade dans ses vignes ou ses caves tout en travaillant perpétuellement à l’amélioration de ses vignes.
Les débuts sont malgré tout difficiles : le phylloxéra frappe l’Anjou vers 1890 et il faut toute la volonté d’innovation et les savoirs de Cristal pour faire face à cette maladie qui ravage le vignoble. Il se procure le premier des plants américains comme porte-greffes pour les acclimater à ses terroirs. Il reconstitue ensuite le vignoble en arrachant les souches centenaires malades et le greffage de vignes nouvelles saines et productives. Son exemple est suivi. Il décide alors de créer une école de greffage pour enseigner ses techniques et sauver le vignoble angevin et celui de Touraine.
Ses idées révolutionnaires s’appliquent également aux techniques mêmes du travail de la vigne. Il est l’un des premiers à mettre des fils de fer dans les vignes. Il sait s’équiper d’engins mécaniques, en met au point lui-même que l’on peut voir encore dans les caves de Parnay, modernise ses chais troglodytiques de 8 à 10 m de hauteur, aménage ses pressoirs en les dallant de verre de Bohême… Il se tient au courant des études récentes et visite souvent des vignobles renommés. Il expérimente toujours, ayant comme seule préoccupation l’amélioration de sa vigne et la qualité de ses vins.
Un tel investissement non seulement financier mais aussi en temps, en énergie, en imagination, en modernisation dans son entreprise, ne peut aboutir qu’à une immense réussite. Ses vins se font donc connaître très vite partout, lors des foires et concours. Dès 1891, son vin obtient le prix d’honneur de la ville de Saumur, en 1894 son vin blanc est médaille d’or au concours de la ville de Paris. Les prix et les honneurs se succèdent partout jusqu’à Londres en 1908. Sa production bat même, en 1905, celle du Château Yquem à la foire agricole de Paris.
Mais l’âge affaiblit peu à peu le « Père Cristal » qui perd ses forces physiques. Il se voit contraint de confier à sa nièce, Mme Vigeant, l’exploitation de ses chères vignes. Elle se consacre entièrement à son oncle, qui se rend compte que cela se fait de moins en moins dans l’intérêt de son vignoble qui tombe partiellement à l’abandon.
Antoine Cristal s’éteint le 24 janvier 1931, trois jours après une chute accidentelle dans sa chambre, dans sa quatre-vingt-quatorzième année.
Antoine Cristal a traversé presque un siècle entier. Du petit bonnetier ambulant de ses débuts au célèbre vieillard de 93 ans, sa trajectoire est exceptionnelle. D’une rare intelligence, malgré une formation modeste, une culture élémentaire, il profitait d’un esprit curieux, pratique et pointu d’une grande clairvoyance. Millionnaire mais vivant plus que chichement, personnage bourru et solitaire, aux idées très arrêtées, il fait bien des envieux surtout dans le milieu viticole dont il n’était pas issu mais auquel, faisant preuve d’une réussite insolente, il peut donner des leçons.